1794, la république sauvée à Fleurus

1794, la république sauvée à Fleurus

Cent quatre ans après la victoire remportée par le maréchal de Luxembourg, le drapeau français reparaît dans les champs de Fleurus

Second épisode français de l’histoire fleurusienne, la bataille de 1794 constitue le tournant de la révolution française puisqu’elle marque le fin de la menace d’invasion du territoire national par des troupes royalistes.

Cent quatre ans après la victoire remportée par le maréchal de Luxembourg, le drapeau français devait reparaître dans les champs de Fleurus et y recueillir un nouveau lustre; mais ce n’était plus le drapeau  blanc : les trois couleurs avaient pris sa place, et, quoique très jeunes encore, elles avaient déjà prouvé qu’elles sauraient l’occuper dignement. Cependant, depuis Jemappes, elles ne s’étaient guère montrées avec éclat en territoire étranger.

Elles allaient enfin reprendre leur essor : après tant de mois passés, en 1793, à la bataille sur la frontière, et une telle alternative de revers et de succès que, ni les Français, ni leurs adversaires, n’auraient jamais réussi à gagner du terrain d’une façon sensible, le Comité du Salut public avait résolu de faire un vigoureux effort et de transporter définitivement le théâtre de la guerre en Belgique.

Non moins désireux de résultats plus décisifs et ayant hâte d’«en finir avec la Révolution», les coalisés rassemblèrent tous leurs moyens et confièrent au prince de Cobourg le soin de les remettre en œuvre.

L’hiver se passa de part et d’autre en préparatifs. Ceux de la France furent immenses : les célèbres décrets d’avril et de septembre 1793 avaient jeté dans les camps toute la jeunesse valide et plus de 1.200.000 hommes étaient soldés par la République au 1er avril 1794.

Tous n’étaient point disponibles, à la vérité, pour la guerre de campagne, et des “ quatorze armées ” légendaires, une bonne moitié n’existait que sur le papier. Mais les principales avaient été considérablement augmentées, sinon beaucoup mieux pourvues, et celle du Nord, en particulier, venait d’être portée à l’effectif de 210.000 hommes, y compris les garnisons.

En face de ces forces imposantes, que commandait Pichegru, 150.000 Autrichiens, Anglais, et Hollandais occupaient l’espace compris entre Namur, Charleroi et la mer, et le prince de Cobourg qui les commandait, ouvrit la campagne par un mouvement général de concentration qui semblait annoncer des projets plus vastes et plus sérieux que les entreprises dirigées jusque-là contre la France.

Il n’en était rien : cette grande opération avait pour unique objectif l’investissement de la petite place de Landrecies.

Voici comment l’armée française, placée sous le commandement du général Jourdan, fut distribuée.

En prenant pour centre la ville de Charleroi : à la gauche une brigade aux ordres du général Daurier fut postée en avant de Landelies, derrière Fontaine-l’Evêque; la division du général Montaigu occupa Trazegnies, et celle de Kléber se plaça en avant du moulin de Jumet et du village de Courcelles.
A la droite, les troupes que commandait Marceau défendaient les postes de Baulet, Wanfercée, Velaine et Lambusart.
Au centre étaient les généraux Lefebvre, Championnet et Morlot : le premier un peu en arrière et sur la gauche de Fleurus; le second, au-delà d’Heppignies et le troisième en avant de Gosselies.
Le prince d’Orange, qui avait passé la nuit à Fleurus au château, – aujourd’hui école des Sœurs Notre-Dame – du baron de Buddenbrock, et le général Latour firent face à la gauche de l’armée française; l’archiduc Charles et le général Beaulieu à sa droite; le comte de Kaunitz à son centre.

L’action s’engagea dès le point du jour.

Nous ne suivrons pas les péripéties, du reste assez confuses, de la bataille qui se livra sur une vaste étendue; nous nous en tiendrons seulement au coin qui nous intéresse particulièrement.

Les Français avaient remporté des succès à leur gauche.  Sur la droite où la lutte fut surtout extrêmement vive, l’aspect des choses était moins favorable pour l’armée française.

Les alliés avaient emporté Wanfercée, Baulet et Velaine; venant de Fleurus, ils s’avançaient contre les retranchements des troupes de Marceau, les forçant à se reployer sur Lambusart.

La cavalerie française recula devant celle de l’ennemi; mais celle-ci voulant pousser jusqu’à l’infanterie fut reçue la baïonnette en avant et repoussée.

Les escadrons français, ralliés à la gauche de Lambusart, firent reculer à leur tour ceux que Beaulieu avait lancés pour tourner le village et le feu des redoutes foudroya ceux qui tentèrent de s’en approcher.

Mais le Prince Charles arrivait : il avait chassé les avant-postes de Lefebvre et put opérer sa jonction avec Beaulieu; que la droite de la 7ème armée française fut tournée par Lambusart et c’en était fait. Jourdan, attentif au danger appelle en toute hâte au secours de Lefebvre et de Marceau, la cavalerie aux ordres du général Dubois et la réserve placée à Ransart sous le commandement du général Hatry. Mais, avant que ces renforts paraissent, Beaulieu attaque de nouveau Lambusart.

Vainement Marceau déploie-t-il une valeur héroïque; que ses troupes accablées par des forces supérieures et vivement chargées par la cavalerie, se retirent en désordre de l’autre côté de la Sambre, à l’exception de quelques bataillons qui, se serrant autour de leur général, se maintiennent dans les haies. L’arrivée de trois bataillons de la division de Lefebvre et de trois autres appartenant à celles de Hatry permit à Marceau de rétablir le combat.

Dans l’impuissance de pénétrer plus en avant, Beaulieu laisse entre Martinroux et Lambusart quelques bataillons soutenus d’une forte réserve, et par un mouvement sur sa droite, se réunit avec le surplus de ses troupes à une colonne qui, débouchant de Baulet, attaquait le camp retranché, défendu par les divisions de Lefebvre et de Hatry.  Là, le combat fut terrible. Ne pouvant tourner les retranchements français, Beaulieu les aborde de front. Trois fois ses troupes arrivent jusqu’à portée de pistolet, trois fois la mitraille et la mousqueterie jonchent la terre de morts.

Aussitôt que les alliés tournaient le dos, ils étaient chargés en queue par les escadrons français qui débouchaient des lignes, au moyen des passages qu’on y avait ménagés.  L’artillerie tirait, de part et d’autre, avec tant de vivacité, que les baraques du camp et les blés venant à s’enflammer, on se battit dans une plaine en feu.

Beaulieu dut faire reployer ses colonnes, et Lefebvre s’étant alors porté rapidement sur Lambusart avec une demi-brigade, tandis que Marceau s’avançait contre le bois à droite du village, l’ennemi essaya, mais en vain, de résister à cette attaque combinée. Peu de temps après, le général français Mayer, qui avait rassemblé les troupes rejetées au-delà de la Sambre, survint, et l’aile droite reprit la position qu’elle occupait avant la bataille en refoulant Beaulieu.

Au centre de la bataille, pendant ce temps, le comte de Kaunitz bornait ses efforts à une vive canonnade précédée de quelques engagements d’avant-postes et d’une tentative infructueuse pour emporter les retranchements défendus par Championnet.

Ce fut à quatre heures du soir seulement que le comte de Kaunitz, renforcé d’une partie de la réserve, renouvela son attaque. La division Championnet, bien retranchée, appuyée à une forte redoute et soutenue par la réserve de cavalerie et de quatre compagnies d’artillerie légère  ne pouvait être délogée.
Cependant, Championnet ordonne la retraite, trompé qu’il était par un faux avis annonçant que Lefebvre avait été forcé d’abandonner son camp retranché.  Déjà la grande redoute était désarmée, déjà les troupes françaises sortaient d’Heppignies lorsque Jourdan accourt avec six bataillons et huit escadrons de la division Kléber, en s’écriant :

Point de retraite aujourd’hui ! La victoire ou la mort !

Il détrompe Championnet, qui, impatient de réparer sa faute, se précipite sur les bataillons ennemis qui ont pénétré dans les jardins, les haies, et les chasses.

D’un autre côté, les lignes qui s’avancent entre Heppignies et Wangenies sont foudroyées par le feu de l’artillerie.  Jourdan, témoin de la confusion qui y règne, ordonne au général Dubois de les charger et Dubois part au galop avec les premiers régiments se trouvant sous sa main.

Les premières lignes des Autrichiens furent culbutées et le désordre s’empara des rangs alliés.
Le prince de Cobourg avait vu toutes ses attaques repoussées : il ordonna le signal de la retraite.

La perte des républicains s’éleva, en tués et blessés, à environ cinq mille hommes, celle des alliés fut évaluée au double. Dans la soirée et le lendemain, la cavalerie française ramassa plus de trois mille traînards à Fleurus, Lambusart, Baulet et les environs.

N’oublions pas l’épisode caractéristique et si universel-lement connu de cette bataille : la première apparition du ballon captif sur les champs de bataille.

La seconde conquête de la Belgique par la France fut le fruit de cette victoire célèbre.
La nouvelle se répandit rapidement en France – cela ne fut pas long grâce à une autre invention nouvelle, le télégraphe aérien de Chappe – où elle excita l’ivresse générale.
Cette bataille fut une des plus grandes luttes de l’histoire : la lutte de deux âges et de deux mondes, une lutte de titans dont l’avenir et la liberté étaient l’enjeu.
Pour la Belgique, elle eut une répercussion énorme.  Si le hasard des armes avait donné la victoire aux alliés, qui sait ce qu’eut été l’avenir ?  C’était notre pays plongé à nouveau sous le joug de l’Autriche, que les patriotes belges conduits par notre haut clergé avaient voulu, mais en vain, secouer quelques années auparavant.

La France, ce jour-là, commença son rôle de grande initiatrice. L’aube d’un monde se leva. Le 26 juin 1794, à Fleurus, naquit une ère nouvelle, celle où nous vivons. Cette bataille marque donc une date considérable, non seulement dans les annales de la France, mais dans celles de l’Europe.

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